Assiégés
Chapitre 5 : L’enterrement
La nef se berce de nos pleurs. Ces piliers, les chanoines, tout cela semble si fragile, comme une forme évanescente. Les exhalations d’encens perturbent le fil trouble de mes pensées. Un frisson secoue ma charpente. Mais où suis-je ? Devant moi. Le corps drapé de soie. Lord Auguste, impassible. Le grand échevin froid tout au milieu. Noble assemblée tout de noir. Le grand vagabond, lui, de pourpre, tranchant avec cette matinée de jais. Un émail translucide mugit sa douleur sur son auriculaire : lord Auguste est le nouveau grand échevin. La lumière de ce jour est mordorée, accompagnant les élégies à cette figure joyeuse. C’est bruyant, c’est vulgaire, d’avoir ce meurtrier figé devant cette proie honorée. C’est indécent. La main qui tua encense. Les yeux d’éperviers qui toisèrent le dernier souffle de vie. Soudain, il se tourne imperceptiblement vers moi, et de ses yeux azur, m’intime de me jeter dans son esprit. Le discours du criminel vacille un instant sur le précipice de ma raison, et je plonge rejoindre le grand échevin en ces abysses infortunées.
La fenêtre du palais clair est ouverte. Je l’enjambe, je saute. Contact étrange. Rue bleutée, granuleuse, droite et égale, drapée de ses corolles de palais étranges. Le grand vagabond est là, sur le bord de ce fleuve solide. Il est seul, et sa démarche est différente, tout en lui respire une odeur curieuse. Ses vêtements doivent être à la mode dans l’end, et cette ville. Soudain, un écriteau d’acier se dresse : je ne parviens pas à le lire, tant cette langue me semble étrange et incompréhensible. Je suis Lord Auguste dans ce souvenir solitaire. Je me rapproche du corps musculeux, et toute la vision se fait plus nette. Mais où suis-je ?
Eau froide. Clef de voûte. Homme ennuyé. Quelques femmes : “Cette disparition l’a tant attristé… »
– Oui, c’en était un ami très intime. »
– Robb ? »
Je me redresse, et déjà un flux vital retrouve le chemin de mes artères. Lord Auguste me fixe, interrogeant ma vision. Il ne dit rien, marmoréen. J’ouvre enfin ma bouche, désertée de toute salive : “Messires, n’éludons pas ces larmes par mon léger empourprement. Revenons en à l’hommage.”
Bruissement. La cérémonie reprend son cours et l’archevêque enterre encore un peu plus le grand échevin : “Il était pieux, et avait parcouru tout ce monde. Il avait vu les temples sous-marins, les pyramides désertiques. Il avait amené cette prospérité heureuse. Son aménité à jamais flottera sur cette ville.”
La cérémonie se clôt. La marée des condoléants reflue. Le corps. Lord Auguste. Ma forme décharnée. Il dresse son impitoyable oeuvre entre nous deux, et me parle pas dessus la forme inanimée : “Robb… Nous avons une mission. Tu dois retourner en ces songes. Le maître m’a parlé. Il reste si peu de temps ! »
– Arrêtez, je vous en supplie ! »
– Quoi ? »
– Laissez-moi. Je ne veux plus. »
– Nous somme si proches, Robb… »
– Non, pourquoi voulez vous au juste que j’aille dans ces souvenirs ? Dans vos souvenirs, pardon. »
– Ah…” Il marque une pause, ne sourit pas, ne soupire pas, restant calme. Le cadavre, maintenant que l’encens est dissipé, exhale une odeur putride de décomposition. Il reprend : “C’est pour rentrer chez moi. Minecraft n’est pas pour moi.
– Mais l’End ?
– Ne t’occupes pas des futilités de ma résidence. Retourne dans mes songes.
– Non, plus jamais.
– Robb !” Il ne tente pas de me rattraper, et en quelques foulées je suis sur la place. Je dois fuir, sinon il engloutira cette ville. Non. Avant ça, reprends ton souffle. Là, une patrouille de Clairvoyants. Ils ne bougent pas.
Je décide donc de passer par une ruelle sombre, histoire ne pas éveiller l’attention. La ville est plus morne que jamais, pour ce milieu de journée. Les masures de torchis se succèdent, et la crainte que les Clairvoyants ne se soient mis à ma poursuite augmente.
Là, une auberge, je rentre. L’écurie, vite. Enjambe. Enlève le loquet. Ciel, le cheval est sellé. Les fontes sont garnies. “Hé, vous !” Merde, un palefrenier me fonce dessus avec une fourche. Je m’interpose entre lui et son cheval : “Je suis le conseiller spécial du nouveau grand échevin, et j’ai une mission de la plus grande urgence à accomplir.
– Montrez moi votre ordre de mission.” Je comprends qu’il ne se laissera pas berner. Je tâtonne le mur de l’écurie, derrière moi. Un pieu rouillé. Je me penche, le prend et, d’un geste, l’envoie sur l’homme. Je le manque de peu. Le palefrenier roule à terre et j’en profite pour enfourcher sa monture et fuir.
Cela fait bien longtemps que je ne suis pas sorti de la ville. Les portes en sont renforcés. Dehors, la campagne, désertée par les peurs des armées maléfiques. Armées qui ne sont toujours pas venues. J’éperonne mon cheval tout droit. Vers la forêt noire.