Assiégés
Chapitre I : Comme une aube
Cours ou cache toi, mais ne reste pas là ! Non, non, je t’en prie, tu ne peux pas, tu ne voudrais pas quand même tout anéantir, on a tant donné pour toi, tant dépensé, pleuré, espéré, pourquoi mais cours, cours ou cache toi, ne reste pas à découvert. Je veux pas mourir pour rien, je veux que toi, juste toi, que oh cache je t’en prie t’as l’avenir cours ou cache toi
Je me réveille, brusquement. Sans comprendre ce qui m’a tiré de mon sommeil, sinon cette lune immense et cave, qui sans comprendre, regarde nos bonheurs fondant à la mesure des insomnies.
Mes songes poisseux me terrifient, ils me chantent une vie que je n’ai pas vécue, ils me susurrent à quel point mon existence monocorde est belle. Je me redresse, encore habillé. Une barbe de trois jours foisonne sur mes premières rides.
Dehors, un ciel rougeâtre se lève, la forêt d’Écho découpe encore une frange obscure, à l’attente des premiers rayons du soleil. Déjà j’entends les premières portes de la ville s’ouvrir délivrant les premiers villageois, vaquant dès l’aube à leurs occupations.
Je me dépêche de déjeuner, dévorant mon pain et un poisson salé en évitant de tacher mon pourpoint. Le bourdonnement de la communauté se fait à présent plus insistant, tout à la fois nonchalant et affairé.
Un troupeau de lamas obstrue la grand-rue, une caravane des terres désertiques apporte cactus et grès, tandis que les farouches tribus des montagnes, en ville depuis quelques jours troquent ors et diamants contre notre orge, nos légumes ainsi que nos remarquables épées. L’hiver sera bientôt là, et les prix montant, le village est prospère.
Neuf coups de cloche. Ça y est, j’ouvre le verrou de ma librairie, et les premiers clients entrent, chacun avec diverses motivations. Je reconnais les habituels téméraires voulant entrer dans la forêt d’Écho.
Ils sont trois ou quatre ce matin, et se dévisagent avec méfiance : aussitôt qu’ils auront quitté la commune ils s’entre-déchireront. Le dernier survivant ira s’enfoncer dans les sous-bois pour y mourir, c’est une évidence funeste. Mais pour l’heure, leur quête de ma carte la plus fiable les occupe. Jamais ils ne trouveront le grand manoir. Quelle futilité.
Je remarque quelques lettrés, apothicaires et aussi le précepteur du grand échevin. Je peux me flatter sans prétention d’avoir fait prospérer le commerce de mes ancêtres. Savez-vous que je fournis mêmes les bibliothèques ambulantes des grands caravansérails ? Dans mon grenier j’ai une des plus riches collections des plaines, accumulées au fil des décennies, voire des siècles par ma famille.
Les émeraudes s’empilent dans mon coffre, un brouillard venant de la forêt emplit la ville, le feu rougeoyant d’une forge éclaire la place. Je perçois le raclement des seaux contre la paroi humide du puits, les rires d’un groupe d’enfants, le pas pressé du marchand.
Un galop perce la bruine monotone, enfonce le calme de la ville. Je tend l’oreille ; l’allure ne ralentit pas, et le destrier bouscule les passants. Un vent froid effleure ma demeure quand le coursier me dépasse. Là, il s’arrête. Je peux vaguement imaginer que le messager a mis le pied à terre devant la forteresse du grand-échevin.
Je fais comme si de rien n’était, demande à un de mes apprentis de tenir la boutique et je sors, en quête d’informations. Le chaos de l’artère passante me saisit, dans un étourdissant contraste avec le calme recueilli de mon échoppe. Dans la rue, la presse est dense, et je peine à me frayer un chemin jusqu’à l’origine de tout ce dérangement.
Juché sur son cheval épais, recouvert d’une bourbe salissant sa toison de jais, un vagabond hirsute harangue la foule : “Mes amis, peuple des plaines, villageois laborieux, je reviens de la forêt d’Écho ! Le grand manoir existe, ce n’est pas un conte ! Une force terrible s’apprête à faire le siège de votre belle cité ! Le mal est proche, la chute, la fin, unissez vous, nous sommes assiégés ! » Une rumeur tout à la fois terrifiée et indignée monte de la populace : « C’est un fou, arrêtez-le ! » « Les démons de la forêt vont nous dévorer ! »
J’essaie de me concentrer et de mieux détailler ce messie terrible. Il est très grand, mince mais musclé, une tignasse blonde, de grands yeux bleus gris, un regard séducteur ; un charisme toxique émanant de lui. Son cheval a l’air épuisé, et il porte sur lui les griffures de combats avec des être surnaturels. Un loup n’aurait pu faire pareille plaie. Il faut l’admettre, ce qu’il dit est troublant, ce n’est pas un simple fou. Comment aurait-il pu passer la garde dans ce cas alors ? Il est hypnotisant, magnifique et une envie terrible de l’aduler me prend, et je hurle avec la foule.
La garde de l’échevin quand à elle, n’aime pas le vacarme intempestif et me bouscule, ses grand chevaux piaffant de terreur devant l’agitation inhabituelle de la ville. Les cris rauques des soldats dispersent la foule, et, entre deux corps fuyants, j’entraperçois le prophète se faire arrêter. Contre toute attente on ne le moleste pas, et les soldats, comme ensorcelés, le porte vers le château de l’échevin. Le monde de Minecraft est bien étrange en ce moment…
Le brume montant des bois obscurs semble alors plus épaisse.
gém!
Bravo à toi merci pour ce RP !