Assiégés
Chapitre 4 : Le rêveur
Le Grand Vagabond va tous nous sauver en nous tuant tous
Toi toi toi tu es celui qui
Chemine dans les demeures grises
Marche en sa maison d’euphorie
Sauve nous !
“Robb !” Lord Auguste me caresse presque, il a peur de me toucher, me secouant sans en avoir l’air comme l’on sauverait un mendiant qui nous révulserait presque. Je me découvre dans la salle du conseil, immaculée. Si belle et translucide. Chaque partie de cet orchestre dissonant qu’est ce mois ouvre une porte en moi. Alors voilà. Mes rêves. Ils m’ont conduit sur un piédestal misérable. Celui d’être le premier témoin des crimes du Grand Vagabond ; de les pressentir sans pouvoir les arrêter, et de cheminer dans l’ombre, avec pour seules lanternes les reflets déformés du soleil dans les royaumes abyssaux.
Un sang abondant et riche coule du corps du grand échevin. Il est mort. Et le grand Vagabond l’a tué. Et Lord Auguste me ramène à la raison. Mais c’est… : “Ne me touchez pas ! Je vais appeler la garde, je… je vais faire…
– Calmez vous enfin, ce n’est rien d’autre qu’un corps qui s’apaise, qu’une âme qui s’apprête à gagner les prairies ondoyantes de l’éternité…
– Vous l’avez tué !
– Non, c’est ma main.
– Fermez-la, vous allez payer pour vos monstruosités !
– En êtes-vous sur Robb ?” Il sourit, d’un beau sourire franc. Ses pupilles se reserrent, et une kyrielle de rides illustre sa joie franche. Il est heureux, comme un enfant qui aurait escaladé un arbre, un innocent découvrant les premières joies amoureuses. Mes lèvres se scellent, un tremblement naît en moi. Il reprend :
“Le monde de Minecraft n’existe pas. Votre ville non plus. Rien n’existe sans la volonté d’un maître créateur. Vous ne le connaissez pas, mais c’est celui qui donne à vos maîtres invocateurs la puissance, celui qui anime la chose qui va fondre sur vous, le mal qui vit dans la forêt noire.” Il est serein, calme, le regard droit et il ne sourcille pas. Son arcade est alanguie, le front détendu, sans aucune ride. Il me dévisage profondément : “Tu ne le sais pas encore, mais je viens de loin, d’une contrée plus lointaine encore que tu ne peux l’imaginer. Cet enfant blond, au passage, c’était moi avant. Je te le dis car il ne sert à rien que tu passes des mois à cette quête vaine.” De nouveau il repasse sa main dans sa tignasse claire. Elle s’y attarde, redescend au niveau du nez quelque peu épais, il se gratte légèrement, et tout reprend son ordre naturel. La bouche légèrement entrouverte, prêt à donner une sentence de mort ou de jouvence. Je le hais tant. Il semble avoir entendu cette pensée et il me targue d’un sourire compatissant. Ses dents longues se dévoilent et je remarque qu’il a la mâchoire en avant, un soupçon : “Robb, pour faire simple, je viens de l’End et je suis là pour vous sauver. Tu peux parler si tu veux” Le sang reflux dans mon palais : “Meurtrier, vous êtes complètement ravagé ! Les Clairvoyants ont anéanti notre ville sereine avec leur moralité ! Vous venez de tenter de prendre le pouvoir d’une façon totale et radicale. Maladroit que vous êtes ! Pourquoi tuer le grand échevin ? C’était un bourgeois, certes corrompu, mais pétri d’intentions louables : pourquoi ?!
– Ah… Lorsque j’avais ton âge…
– Mais vous avez une vingtaine d’années de moins que moi !” Il sourit : “… Quand j’avais ton âge Robb, j’aurais pu être comme toi. Mais l’idéalisme est inutile. Le grand échevin était un obèse endormi. Avec la menace qui pointe de la forêt ils nous faut un vrai commandant, un meneur d’hommes ! Nous allons être assiégés, ce n’est plus qu’une question de mois, peut-être de semaines…
– Pourquoi ne pas l’avoir exilé ?
– C’est le maître qui l’a demandé.
– Alors vous êtes un espion, un fantoche au service de forces maléfiques !
– T’entends-tu parler pauvre fou ! Je suis là pour te sauver ! Mais toi seul peut m’y aider.” Je reste interloqué. Il est sérieux et à l’air pour la première fois depuis notre rencontre contrarié. Le cadavre du grand échevin, à nos pieds, refroidit. Il parle : “Pendant toutes ces années où j’ai sillonné Minecraft, j’ai cherché un villageois érudit. Qui pourrait par delà ma puissance m’ouvrir les clés de mon monde perdu, ma ville de l’End, si tu veux. Hier, alors que je me débarrassais du grand échevin, je t’ai invité dans ma maison d’enfance et d’adolescence. Tu t’es promené dedans avec succès. Mais… Il t’a attaqué.
– Qui ça ?
– Moi, mais dans ce monde de songes, mon souvenir ne veut pas me voir rentrer chez moi. Et tu l’as vaincu, tu n’es pas devenu fou comme tout les autres.
– Alors…
– Oui ?
– Vous n’êtes pas venu ici pour nous sauver ? Mais à quoi bon tout les clairvoyants, les nouvelles dépenses pour les fortifications ?
– Le maître suprême dit un jour que toute magie a sa part de mystique, de poudre aux yeux pour détourner le public de la véritable essence de l’escroquerie. Il aussi énoncé qu’un objectif personnel devait être couplé à une mission transcendant les humanités.
– Je ne comprend pas…
– Ce n’est rien.
– Je vais vous faire arrêter !
– Ce sera à toi d’en décider, Robb. Mais avant que de commettre l’irréparable, viens dans mes souvenirs.” Il m’attrape, m’enserre et d’un coup preste sur mon crâne, je sombre.
Le portail d’acier. Vite, la ruelle, la porte vitrée. Je l’ouvre. Cuisine, salon, corps déchiquetés d’hier. Tout est comme la dernière fois, le soleil est à peine levé. Mais de l’étrange salon tout de blanc des bruissements montent. Je m’approche avec peur. Ce souvenir qui n’est pas le mien est entêtant, sublime. Un désir fou émane de chacun des pores de cette petite maison, une volupté qui m’était encore inconnue, toute droite venue d’un autre monde.
Sur le grand divan, étrange, de la même matière que nos pourpoints… Ciel, un banc de cuir, immaculé comme l’ivoire. Dessus, il y a quelques formes, sur les sièges non loin d’autres encore. Floues. Je ne comprend pas leur dialecte. et ils sont tous occupés à rire autour d’un tableau en mouvement clair et saccadé. Je m’approche pour en toucher un. Je suis comme l’air, sans prise aucune. Je bute contre la nébuleuse de chairs mal dessiné. Je ne discerne rien. Repu, au milieu de tout ça, le grand Vagabond. En net, très maigre, fin. Il est plus jeune qu’en vrai, peut-être vingt de moins, encore ! Mais il semble baigner dans l’opulence.
Est-ce cela, une ville de l’End ? Ce palais est incroyable, mais si petit. Les vêtements du Grand Vagabond me sont inconnus. Il parle : “Arrêtez, si vous cassez un truc !” Toutes les formes floues se figent. Par la fenêtre, la promesse d’un monde de senteurs.
“Ne bougez plus, garde du grand-échevin !” Les soldats ceinturent le grand Vagabond et moi-même. Ce dernier : “Je suis entré au moment du suicide du grand échevin. Mr… Enfin Robb est entré et a tout vu.” Le garde me dévisage, et je vois a son expression qu’il n’aime pas Lord Auguste et que sa chute lui ferait grand plaisir : “Que s’est-il passé monsieur ?” Je le reconnais, c’est Jacques, un ami d’enfance. Lord Auguste, me regarde, calme. Alors, je parle : “Un affreux suicide en effet, qui m’attriste au plus haut point”.
Super ! GG